Gigamic lauréat du Prix du Travail Éditorial 2021

Vous voulez en savoir plus sur le travail d’édition autour de La Maison des Souris, le jeu de Élodie Clément et Théo Rivière, illustré par Jonathan Aucomte pour lequel Gigamic est récompensé cette année ? Delphine Brennan vous en dit plus sur le processus d’édition !

Lorsqu’un nouveau projet commence, il y a toujours ce petit frisson d’anticipation, cette question : quels défis nous attendent sur ce jeu ? Ils sont souvent imprévisibles, parfois improbables, mais toujours différents. Pour La Maison des Souris (qui était à l’époque une maison de sorcière), l’enjeu était posé dès les premiers instants : comment créer une maison en 3D crédible, immersive, efficace et avec un prix abordable ? 

Les premiers croquis
Les premiers croquis

Lorsque j’ai rejoint le projet en juillet 2019, la mécanique avait déjà été peaufinée par Benoit, mon collègue chef de projet. En concertation avec lui, Théo et Élodie, les auteurs, avaient ajouté une petite sorcière sur le chemin de retour, qui représente les différentes manches du jeu ainsi que des jetons au recto-verso plus compliqué à distinguer, pour proposer une difficulté évolutive.

Nous pouvions donc maintenant nous pencher sur le matériel, pour proposer la meilleure expérience possible aux joueurs. Nous voulions une maison facile à monter et qui puisse être rangée sans démontage. Les premiers croquis de la boîte ont permis de mettre tout cela au propre et de faire comprendre les différents besoins à notre fabricant.

Edward et son équipe ont été d’une grande aide sur ce projet. Quelques semaines plus tard, nous recevions le tout premier exemplaire blanc de leur part. Les murs n’étaient pas assez stables, les pièces déséquilibrées et la table bien trop grande mais les bases étaient posées. Le temps de procéder à quelques changements architecturaux et nous voici à Essen. L’occasion idéale de discuter du projet de vive voix avec Edward, qui nous a apporté dans ses valises une nouvelle version qui fonctionnait déjà beaucoup mieux avec quatre pièces plus équilibrées, des portes plus larges pour assurer le passage des jetons, une table un peu plus à l’échelle. Quelques ajustements supplémentaires ont été  nécessaires pour assurer la répartition des jetons et la solidité des murs. Après avoir jeté des centaines de jetons en bois, secoué la boîte dans tous les sens et manqué d’éborgner un collègue ou deux, nous en sommes venus à la conclusion qu’il valait mieux garder la boîte sagement posée sur la table. Une précision qui est arrivée telle quelle dans la règle en cours de rédaction ! 

Le premier exemplaire en blanc

C’est à cette période que les petites fixations plastique ont fait leur apparition, pour fixer et renforcer les murs et éléments 3D. Modélisées par Simon, l’un de nos graphistes qui a énormément travaillé sur l’aspect matériel de la maison, elles évolueront très peu dans les mois qui suivent, devenant simplement transparentes pour mieux se fondre dans le décor. 

Pour la petite histoire, nous sommes aussi rentrés d’Essen avec une version intégralement en plastique. Il faut dire qu’à ce moment-là, nous espérions pouvoir proposer un jeu déjà monté à l’ouverture. Edward nous a mis en garde sur la fragilité d’un tel jeu. Il risquerait de s’abîmer au cours du transport, à moins de partir sur une alternative plastique. Celle-ci a rapidement été mise de côté. Adieu donc, le jeu déjà monté et retour au carton.

 À un élément près… S’il fallait que les joueurs montent le jeu lors de leur première partie, nous ne voulions surtout pas leur imposer de telles manipulations à chaque mise en place, pour éviter de les décourager autant que pour préserver l’état du matériel. Nous avons donc imaginé une cale plastique épousant la forme des murs, dans laquelle le plateau viendrait se glisser à l’envers, et qui permettrait de ranger les différents éléments du jeu : lampe, jetons, etc.

En parallèle, nous avions commencé à réfléchir au thème et aux illustrations qui allaient donner vie à cette petite maison. Initialement, Théo et Élodie nous avaient proposé une maison de sorcière. Le thème était efficace et plein de promesses, mais nous avions déjà beaucoup de jeux mettant en scène des petits lutins, elfes et autres magiciens et nous avions peur que ce soit un peu redondant. C’était parti pour un brainstorming et l’idée des souris s’est rapidement imposée, accompagnée d’une autre idée soufflée par Joseph, mon deuxième collègue chef de projet : et si nous mettions le jeu en abîme ? Plutôt que d’observer une maison à taille réduite, ce serait une vraie maison miniature à taille réelle. Cette piste a été déterminante pour la suite. 

 
Premier essai de couverture
Premier essai de couverture

Restait à savoir qui allait prendre les pinceaux sur ce projet pas évident. Il fallait réussir à créer une atmosphère cosy et chaleureuse dans cette petite maison, mais aussi un sentiment de relief et de réalisme. Mathilde avait déjà un nom en tête… et le premier croquis de couverture a mis tout le monde d’accord ! C’est donc Jonathan Aucomte, que notre équipe connaît bien pour avoir travaillé sur plusieurs projets avec lui, qui donnerait vie à nos petites souris. Nous avons réfléchi ensemble à cet univers miniature, aux meilleures façons de le mettre en image. Les éléments de notre quotidien sont devenus des meubles de choix pour nos petites souris, avec des inspirations venues des livres et films de notre enfance, tels qu’Arietty, La famille souris, et tant d’autres. 

 Les premières illustrations n’ont pas tardé à arriver, d’abord en noir et blanc, pour s’assurer de l’efficacité de la perspective, avec une étape ciseaux et colle pour faire une première maquette 3D en papier. Puis, la couleur s’est ajoutée. L’objectif était d’avoir une dominante de couleur par pièce, afin de faciliter leur identification et leur reconnaissance pendant la partie. Ce n’est que bien plus tard que les planchers et les chambranles des portes s’accorderont également à ces teintes, pour assurer une meilleure lisibilité. Pour le reste, Jonathan a fait fonctionner sa magie pour peupler cette petite maison de dizaines de petits détails, objets détournés et références. D’ailleurs, saviez-vous qu’un slip se cache dans les décors ? 

 

Même si la mécanique du jeu était déjà très aboutie, les éléments de jeu eux-mêmes méritaient quelques ajustements pour aller à l’essentiel. À l’origine, les questions étaient rédigées sur des cartes qui constituaient un gros surcoût en matériel et avaient l’inconvénient de ne pas proposer toutes les combinaisons question/objet possible. Problème résolu sous la forme d’un petit plateau, avec des jetons variables qui permettraient d’avoir des questions toujours différentes, partie après partie. Il fut un temps question de le faire sous la forme de deux pièces de puzzle, pour varier les niveaux de difficulté. Mais la contrainte de découpage faisait perdre beaucoup trop de place, aussi l’idée a-t-elle été abandonnée au profit des quatre plateaux actuels.


Ce plateau annexe servirait aussi de chemin à nos petites souris, dont l’avancée représente les différentes manches. Nous avions pensé à les placer sur le toit directement, mais il semblait impossible qu’elles y restent bien longtemps alors que les enfants s’en donnaient à cœur joie au moment de secouer la boîte pour répartir les jetons. Elles resteraient donc à terre, d’autant que ce dos de boîte posait d’autres soucis qu’il nous fallait contourner. 


En effet, que faire de ce dos de boîte qui devait servir de toit et de murs à la maison ? Percé de toutes parts, décoré de tuiles et d’une trappe d’entrée : impossible de l’utiliser pour donner un aperçu du jeu aux boutiques. Sans compter qu’entre les risques du transport et les petites mains sans surveillance, le risque d’avoir une boîte abîmée n’était pas négligeable. Pour la protéger et servir de support commercial (avouez qu’un code barre entre deux poutres, ça n’aurait pas eu le même charme !), nous avons opté pour un fourreau qui remplirait parfaitement ces deux fonctions. 


Et la lumière alors ? C’est qu’il fallait bien voir quelque chose, dans cette petite maison ! Nous avions déjà réfléchi la forme des murs pour qu’elle favorise la dispersion de la lumière (vous voyez, la partie creuse au milieu du mur central ? Elle sert à ça !) mais encore fallait-il une source. Notre première idée  était d’utiliser une lampe rechargeable, afin de limiter l’empreinte écologique liée aux piles. Les mois passant, les essais et les tests se sont enchaînés sans succès. Le minuteur intégré finissait invariablement par user prématurément la batterie intégrée. Notre fabricant a donc fini par nous conseiller d’abandonner cette idée, qui ne lui semblait pas réalisable avec notre budget. Comme pour les précédentes questions techniques, nous lui avons fait confiance et ce changement de cap a permis de débloquer la situation très rapidement. Quelques jours plus tard, il nous proposait le design quasi définitif de la lampe qui ne nécessitera plus qu’un petit changement de couleur et des LED plus puissantes pour arriver à sa version finale. Et pour s’assurer qu’il ne ferait pas trop sombre, nous avons finalement augmenté la largeur des fenêtres d’un tiers, à quelques jours seulement de l’envoi !  

Il ne restait plus qu’à peaufiner la règle et le feuillet de montage pour que tout cela soit aussi clair que possible pour les futurs joueurs. Une mission pour nos graphistes, Greg et Joey, qui ont optimisé et habillé tout cela, en partant de schémas parfois… alambiqués ! Et ce feuillet de montage n’a pas été une mince affaire… Fallait-il mettre des textes ? Des images ? Les deux ? Qui peut le plus peut le moins, gardons les deux. Et pour s’assurer de la clarté des différentes étapes, toute l’équipe y est passée ! L’un après l’autre, au fil des itérations et des précisions, tous les membres de l’équipe se sont essayés à monter le jeu. Il y a eu des disciplinés qui suivaient le feuillet à la lettre, des esprits libres qui ont tenté de s’en affranchir… et le tout chronomètre en main pour vérifier le temps moyen nécessaire. Non, n’insistez pas, mon devoir de réserve m’interdit de vous révéler le nom du grand vainqueur de cette course de rapidité !


Et après plus d’un an de travail, de réflexion, d’arrachage de cheveux et de changements, notre petite maison est finalement arrivée dans les rayons des ludicaires. Et c’est toujours un bonheur pour nous de lire et d’entendre les nombreux retours positifs qui l’accompagnent, car derrière chaque jeu, il y a aussi une aventure humaine, au sein de l’équipe mais aussi avec les auteurs et illustrateur. Alors on vous souhaite à tous de longues heures de jeu encore… en espérant que vous finirez par retrouver vos clefs chez ces chapardeuses. Nous, il nous manque toujours un boulon !