Paroles d'Auteur·es : Annick Lobet

Comment as-tu découvert le jeu ? Et pourquoi t’être tournée vers cette activité ?

Je découvre le jeu moderne en 2006, en tombant par hasard sur le site Tric Trac. Je lis des tas de règles et  immédiatement la création ludique est une évidence pour moi. Très vite, je cherche un club pour découvrir  tous ces jeux et faire tester mes tout premiers protos. 

Qu’est-ce que ça veut dire être autrice de jeux ? 

Au départ, il y a une idée, une envie : elle peut être basée sur un concept, un thème, un matériel. Je  commence toujours par faire tourner cette idée mentalement pour l’orienter dans la bonne direction puis  l’enrichir. Quand elle est devenue suffisamment concrète, j’écris une première règle puis je conçois un  premier prototype. A ce stade, c’est souvent quelques bouts de papier griffonnés complétés par du matériel  « neutre » (dé, pions, etc). Si possible, je commence par tester seule, il s’agit de voir comment le système se comporte. Est-ce qu’il génère les sensations que j’avais en tête quand j’y pensais ? Est-ce qu’il est  intéressant ? Est-ce que j’ai envie d’y rejouer ? etc 

Je teste, j’améliore, je fais évoluer la règle écrite et le prototype. Quand le projet me plaît suffisamment, je le  montre à d’autres personnes. De nouveaux problèmes émergent, de nouvelles solutions. Un développement c’est une sorte de spirale en fait : règles – prototype – tests – amélioration – modification de règles – nouveau prototype, etc jusqu’à ce que le jeu soit assez bon pour être présenté à un éditeur. 

Parfois, je bute sur un problème ou je me lasse du projet, il est temps de passer à un autre projet (je  reviendrais plus tard sur celui-ci). J’essaie quand même de ne pas trop me disperser. Une fois le jeu prêt, il faut démarcher des éditeurs, ce sont eux qui vont se charger des illustrations  définitives, de la production et de la distribution du jeu. Certains vont vouloir continuer à développer le jeu. Et parfois, c’est l’éditeur lui-même qui donne l’impulsion initiale, par exemple en proposant de développer un  jeu sur un thème particulier. Il reste alors généralement assez impliqué tout au long du processus de  développement. Ça a été le cas pour plusieurs de mes jeux.

 

 

Ça ressemblait à quoi ton premier prototype de jeu ? 

Je n’ai plus la photo du prototype, mais j’ai eu la chance de voir ma toute première création être édité par le  Scorpion Masqué sous le nom de Trafffic. 

 

 

 

 

 

Il s’agit d’un jeu de rapidité dans lequel tout le monde joue simultanément pour retrouver sur le plateau de  jeu commun les combinaisons qui figurent sur leur cartesp

 

 

 

Tu peux nous parler un peu de tes jeux édités jusqu’ici ? 

Trafffic sort en 2011 chez le Scorpion Masqué. 

En 2012, Gigamic édite Stratopolis (un jeu abstrait mais avec du hasard !) et Home Sweet Home (un petit  jeu cartes). J’avais proposé le premier via leur site web et Mathilde avait trouvé le 2e sur la page web où je  présentait mes protos.Au même moment, Blackrock est sollicité par Casterman qui souhaite décliner l’un de ses titres en jeu de  société. Blackrock contacte Roberto Fraga qui me fait part du projet. Dans la liste fournie par Casterman, un  roman jeunesse de Marc Cantin, Merlin Zinzin, attire mon attention.



C’est l’histoire de 5 enfants inspirés des héros de la légende arthurienne. Arthur, Guenièvre, Viviane, Merlin  et Lancelot sont poursuivis par le chat géant d’une sorcière. 

Je décide de l’adapter en un jeu de course en temps réel faisant appel à l’adresse, sous forme de jeu  coopératif. À l’époque, ce genre est nettement sous-représenté et je le trouve plein de possibilités en plus  véhiculer des valeurs très positives (partage, échange, entraide…)  

Merlin Zinzin est primé au Festival de Parthenay juste avant d’arriver en boutique en 2012 puis nominé à l’As d’or enfant à Cannes en 2013. Une belle reconnaissance du public et du milieu professionnel ! 

Ensuite, Christian me demande de faire pour lui un jeu enfant avec un thème Zombie et je poursuis mon  exploration du genre coopératif, en proposant cette fois un jeu dans l’esprit des coopératifs pour adulte.  Zombie Kidz sort en 2013, on en reparle plus tard. 

La même année, je présente à Benoît Forget, un jeu de course coopératif (je ne m’en lasse pas), sur le  thème du Petit Chaperon Rouge. Après 2 ans de développement, le jeu deviendra le 5e opus de la  fameuse collection de boite livre de Purple Brain. Et pour celui-ci, j’ai gardé un prototype :


On s’arrête sur Zombie Kidz : tu peux nous raconter un peu l’histoire ? Ça ressemblait à  quoi au tout début ? Quelles ont été les différentes étapes pour aboutir aux versions  éditées ? N’aies pas peur des tartines, on raffole du détail ! 

Pour la toute première version de Zombie Kidz, le matériel devait nécessairement être réduit, car en 2011,  une boite de la gamme « Petit Monstre » du Scorpion Masqué est petite. 

Dans les premières versions, le jeu est donc principalement composé de cartes représentant des tombes de  différentes couleurs avec ou sans zombies.

  


On commence par placer des cartes avec zombis sur la table pour former un cimetière et on en distribue 3 à  chaque joueur (qui peuvent comporter ou pas des zombis). À son tour, on pose une carte de sa main sur  une tombe de la même couleur situé autour de son pion. Comme je veux absolument que le jeu génère une  interaction entre les joueurs, j’introduis la possibilité de donner ou d’échanger une carte avec un autre  joueur, sous certaines conditions. Le but du jeu est d’éliminer tous les zombies.

Un des principaux défauts de cette version est d’être peu intuitive pour les petits qui sont obligés parfois de  poser des cartes avec des zombies avant de pouvoir les éliminer. J’ajoute donc un dé pour faire les rentrer  des zombies aléatoirement dans le cimetière. 

De plus, je matérialise les zombies par des pions que les enfants vont pouvoir manipuler, rendant ainsi le jeu plus immersif. Enfin, je ne conserve que 9 cartes, pour former le cimetière. Ce sont 5 tombes sans zombies  ainsi que 4 portails qui introduisent une nouvelle façon de gagner : si on se trouve à 2 sur un portail, on  retourne la carte (le portail est maintenant verrouillé). 

On est alors très proche du jeu édité : 


Pour équilibrer le jeu à 2, je décide de permettre les déplacements en diagonale. Mais les jeunes joueurs ne  comprennent pas toujours sur quelles cartes ils peuvent déplacer leur pion, j’ajoute alors des chemins entre  les tombes pour matérialiser les trajectoires autorisées. Enfin, l’éditeur remplace les cartes par un plateau et  des pions cadenas pour simplifier la mise en place. 


Le jeu sort en 2013 et a une vie honorable, sans plus, qui se termine en 2015 avec l’épuisement du second  tirage.



Zombie Kidz Évolution 

En 2017, Le Scorpion Masqué décide de rééditer le jeu. Il est question de transposer l’action dans une école au personnel Zombifié. J’aimerais qu’on intègre aussi une mini-extension que j’avais proposé en 2015 en  Print & Play et qui consiste en 4 cartes pouvoirs pour les héros : 

En janvier 2018, une autre idée de variante me vient à l’esprit mais le Scorpion Masqué pense que multiplier  les variantes n’est pas souhaitable. En effet, cela apporte surtout de la confusion, les gens ne savant pas  trop à quel moment ils sont censés jouer avec telle ou telle variante. Finalement, Christian a l’idée de  dissimuler ces variantes dans des enveloppes que l’on découvrira progressivement. Ce projet se transforme  rapidement en développement d’un jeu de type « legacy » pour enfant ! 

Je crée une 3e variante et propose une cinquantaine de missions réparties en 12 groupes. Chaque groupe  de mission complété permettra d’ouvrir une enveloppe. 

Je fais alors l’e-connaissance de Manuel avec nous développons a une allure record le système évolutif.  Nous introduisons une jauge pour assoupir le système : chaque mission et ou groupe de mission complété  permettra de cocher une case et certaines cases donneront accès à une enveloppe.  Pour améliorer l’ergonomie, nous adoptons les stickers aussi bien pour remplir la jauge que pour ajouter  dans le livret les règles et les missions supplémentaires découvertes dans les enveloppes. Nous regroupons toutes les informations à écrire dans un passeport qui comprend aussi la jauge ainsi que des emplacements pour coller des badges de niveaux collectés dans les enveloppes. Enfin, nous choisissons de réunir les règles, les missions, la planche de stickers et le passeport dans un  unique livret baptisé « Guide du Chasseur de Zombies »

 

 

 

Après quelques tests, nous affinons le système de jauge : ajout d’un cerveau après chaque partie (en plus  des trophées de missions), ajustement du nombre de cases et répartition des cases numérotées. Nous modifions aussi l’ordre d’apparition des différents éléments dans les enveloppes pour que la difficulté  soit progressive et le contenu assez varié pour créer la surprise.  

Enfin, nous supprimons pas mal de missions pour ne garder que celles que les gens réalisent effectivement. 

L’équipe du Scorpion Masqué avance également sur l’aspect visuel pour pouvoir entreprendre de nouveaux  tests de campagne sur un prototype proche du jeu définitif. 

 

 

Pendant ce temps, je termine le développement du contenu de la dernière enveloppe qui se doit de contenir  un matériel susceptible de relancer la motivation, afin d’éviter que le jeu soit laissé à l’abandon dès la fin de  la campagne. 

Le jeu sort en novembre 2018 et rencontre immédiatement un immense succès auprès du public. Il est  nommé à Cannes en 2019 puis remportera successivement le prix enfant des Boutiques ludiques 2019, le  People’s Choice Award – Best Children Game 2019 (Grande-Bretagne), le Lys Enfants 2019 (Quebec), le  Juego infantil Malacibtano 2020 (Espagne), le Gra Roku dla dzieci 2020 (Pologne) et figurera sur la liste des  recommandation 2019 du fameux Spiel des Jahres (Allemagne).

 

La suite avec Zombie Teenz c’est arrivé comment ? 

Face au succès du jeu, l’envie de prolonger l’aventure s’est naturellement imposée ! Déjà, dans la foulée de  Zombie Kidz Évolution, je commence à travailler sur une extension mais le Scorpion Masqué souhaite plutôt  faire un nouvel opus indépendant. Je leur fait différentes propositions qui nous permettent de préciser le  projet. Il faut rester dans l’univers de Zombie Kidz et garder son système évolutif. Les règles tout en étant  différentes doivent avoir un air de famille. Deux choses nous paraissent importantes. D’une part, la nécessité de se concerter pour réaliser des actions collectives (il faut être 2 pour fermer un portail dans Zombie Kidz,  ici il faudra être 2 pour déplacer une caisse). D’autre part, avoir le choix entre 2 types d’actions concurrentes  (on peut chasser les zombis ou fermer les portails dans Zombie Kidz, ici on pourra chasser les hordes ou  déplacer les caisses). 

Au final, le jeu possède un système de base un poil plus complexe que Zombie Kidz mais également bien  plus instable et qui nous donne bien du fil a retordre pour les évolutions. 

On souhaite en effet diversifier un maximum les modules pour rendre la campagne moins prévisible, mais à  vouloir trop partir dans tout les sens on se retrouve avec une « usine à gaz ». On bascule aussi très vite du  « trop facile » au « trop difficile », ça n’est vraiment pas aisé de trouver un point d’équilibre et de le maintenir tout  au long de la campagne ! Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de versions imaginées et testées avant  d’aboutir à un système cohérent ! Autant le développement de Zombie Kidz aura été fluide et  enthousiasmant autant celui de Zombie Teenz a été laborieux voir pénible par moment. 

 

Le jeu sort en novembre 2020. il fait beaucoup moins parler de lui que Zombie Kidz mais il est reconnu  comme étant une suite réussie (l’entretien a été réalisé avant la nomination au SPIEL 2021, ndlr).

Quels projets as-tu pour la suite ? 

Tout d’abord, il y a Trésors Légendaires, un jeu de pirate évolutif, qui sort le 16 avril chez Lifestyle. Pour  une fois, ce n’est pas un jeu coopératif simplement parce que le prototype date de mes débuts et a évolué  par intermittence pendant 10 ans.

 

 

Si tout va bien, Canopéa sortira chez Blam! en 2022. Au départ, Simon est venu me trouver car il souhaitait  faire un Celestia Kids basé sur Merlin Zinzin mais cette idée ne m’a pas vraiment enthousiasmé. Bien sûr,  j’avais très envie de faire un jeu dans l’univers de Celestia. mais je n’étais pas sûre que reprendre Merlin  Zinzin pour l’adapter à des enfants de 5-6 ans soit si pertinent. Le mélange adresse-rapidité me semblait pas du tout adapté à cet âge. Je lui ai donc proposé de partir sur un nouveau concept que l’on a ensuite  développé ensemble.  

Finalement, le jeu est un coopératif qui mêle adresse, mémoire et prise de risque, ce qui permet à chacun  d’apporter ses propres compétences. L’adulte va aider à gérer la prise de risque alors que l’enfant saura  indiquer un emplacement que l’adulte n’aura pas mémorisé. La mécanique étant complètement différente de  Célestia, plutôt qu’un Celestia Kids, le jeu devient simplement un nouveau jeu dans le même univers. Ici,  l’équipage a pour mission de visiter des cités-arbres pour sauver des oiseaux convoités par un vil  braconnier.

Et après ? Je ne sais pas, je n’ai pas envie de m’empresser de faire plein de jeux. Je prend mon temps, je  travaille sur des projets longs qui n’aboutiront peut-être même jamais. 

 

Ma priorité actuellement, est de prolonger un maximum la vie de Zombie Kidz et Teenz Évolution en  proposant régulièrement des nouvelles règles sur le site du Scorpion Masqué. J’ai encore beaucoup de  choses à proposer pour ces jeux.